Boisson aux corps cétoniques pour la performance sportive et au delà.

par Dr Claire Condemine-Piron Antenne médicale de prévention du Dopage - Languedoc-Roussilon

L'article original en PDF est ici. Je me suis permis de le mettre au format Web pour une meilleur diffusion.



Où l’on découvre que la science peut reproduire artificiellement une situation physiologique (le
jeûne), et en exploiter les avantages sans en subir les inconvénients (a priori), pour l’amélioration
de la situation de certains malades, et la plus grande satisfaction des compétiteurs engagés dans
des performances d’endurance, ͙mais sans considération pour les questions éthiques soulevées
par cette démarche de promotion pharmacologique de la performance.

Kieran Clarke, professeur de biochimie à l’université d’Oxford en Grande Bretagne, a bénéficié des
bourses offertes par l’armée des Etats Unis pour des projets innovants sur le thème du soutien
nutritionnel des soldats en opération. En effet, soumis au jeûne dans certaines circonstances,
ceux-ci peuvent souffrir d’hypoglycémie et prendre de mauvaises décisions lourdes de
Agency) a lancé un programme de bourses pour financer des recherches sur l’amélioration des
apports énergétiques aux soldats sur le terrain, en vue de soutenir leurs performances physiques
et mentales.

 Kieran Clarke qui travaillait depuis une dizaine d’années sur les corps cétoniques a obtenu une bourse pour travailler sur l’élaboration de la boisson « code DeltaG ».

Les corps cétoniques sont des molécules produites par le foie lorsqu’il catabolise les graisses, soit
dans deux conditions physiologiques : le jeûne et une diète enrichie en aliments gras.

Dans des conditions pathologiques, comme le diabète, l’organisme peut également produire des corps
cétoniques en grande quantité jusqu’au coma acido-cétosique qui peut conduire à la mort.

Le jeûne prolongé correspond à une situation fréquemment rencontrée par les hommes pendant
des millions d’années, et jusqu’ă nos jours encore dans les régions les plus déshéritées.

Il se trouve que les corps cétoniques produits par les graisses de réserve en cas de jeûne constituent
un palliatif de choix pour le cerveau et le cœur, en l’absence de glucose (sucre), permettant au
corps de conserver un niveau d’activité physique et mentale optimale, indispensable pour la
recherche de nourriture et la survie, en préservant la masse maigre et les réserves glucidiques.

Le foie peut produire jusqu’ă 185g de corps cétoniques par jour. Les corps cétoniques peuvent
représenter 40% des besoins énergétiques après 3 jours de jeûne.

A quantité équivalente, les corps cétoniques apportent 28% d’énergie supplémentaire par rapport au pyruvate, (provenantd’hydrates de carbone) car ils sont plus réduits que le pyruvate, et sont très rapidement assimilés, du fait qu’ils ne nécessitent aucun transporteur, à la différence du glucose. Cahill avait montré dans les années soixante que les corps cétoniques pouvaient constituer jusqu’ă 60% des substrats énergétiques du cerveau en situation de jeûne. La voie des cétones constitue donc une forme d’adaptation physiologique extrêmement efficace pour faire face ă la précarité des conditions d’existence de l’homme. Les corps cétoniques sont métabolisés par le cerveau, le cœur, le cortex rénal, les muscles squelettiques.

Des niveaux élevés (10 à 20 mM/l) des corps cétoniques dans l’organisme sont toxiques : acidose
métabolique et insuffisance rénale, œdème cérébral, pouvant conduire ă la mort. En effet la
cétose est une situation rapportée en médecine à la décompensation métabolique des
diabétiques de type 1, à la privation de nourriture, ou à un régime à la mode depuis quelques
années, le régime Atkins, caractérisé par la surreprésentation des lipides dans l’alimentation, qui
a provoqué de nombreux accidents de santé. Les taux toxiques de cétones (10-20 mM et plus)
concernent les états pathologiques. Dans les circonstances d’un exercice prolongé le taux
circulant peut atteindre 0,5 mM, et dans celles du jeûne prolongé 4-5 mM.

Une expérience conduite sur 36 adultes sains de consommation répétée sur 5 jours a montré une
élimination rénale des corps cétoniques proportionnelle ă l’élévation de leur taux sanguin. Les
doses supérieures à 2g/kg de poids corporel/jour de monoester cétonique se sont accompagnées
d’effets indésirables gastro-intestinaux sur l’ensemble des participants (nausées, vomissements,
constipation, flatulence), rapidement réversibles ă l’arrêt de la consommation. Dans ces
conditions le taux de corps cétoniques n’a pas dépassé 5,5 mM, pour le protocole à 2g/kg/j.
L’auteur impute ces troubles ă l’ingestion d’un litre de lait en 20 mn dans le cadre du protocole

Mais les corps cétoniques ne peuvent être absorbés tels quels, car ils ont des effets
potentiellement toxiques. Kieran Clarke a donc mis au point avec la collaboration de chimistes,
une boisson contenant des esters précurseurs des corps cétoniques, selon une méthode apparue
dans les années 70. Le monoester est ensuite hydrolysé par des estérases dans de nombreux
dans les années 70 et testés chez l’homme dans les années 90. Ces esters se sont révélés sans
danger pour la santé humaine. Kieran Clarke a testé sa boisson avec succès sur des militaires͙puis
des sportifs.

Les corps cétoniques apportent un supplément d’énergie qui permet une épargne
glucidique à l’effort. En effet, les sports d’endurance, comme l’aviron, le cyclisme sur route ou le triathlon conduisent l’organisme ă l’épuisement de ses réserves de glycogène, avec une production d’acide lactique à haute dose sur des efforts intenses, qui aboutit à une sensation de brûlure généralisée et à une grande pénibilité du soutien de l’intensité de l’effort. Pourtant, la filière glucidique est apparue comme filière de choix vis-à-vis de l’utilisation des acides gras pour les efforts de haute intensité,
et jusqu’ă aujourd’hui, les stratégies nutritionnelles ont essentiellement porté sur la préservation
des réserves de glycogène, par l’apport de glucides durant l’effort, et la reconstitution rapide des
réserves après l’effort.
Jusqu’à récemment, les études conduites sur les corps cétoniques n’avaient pas porté sur
l’impact de ces molécules sur le métabolisme en dehors des situations de jeûne, à cause des
effets collatéraux produits par ce jeûne. Il s’agissait essentiellement de montrer l’évolution de la


La stratégie de Keiran Clarke a consisté à simuler une situation de jeûne en apportant des corps
cétoniques à un organisme en bonne santé et hors restriction calorique, en situation d’exercice
intense et prolongé. Dans ces conditions, il n’y a pas de déplétion des muscles en hydrates de
carbone, en préalable à la production de corps cétoniques. On observe que les corps cétoniques
réduisent la consommation de glycogène et favorisent sa mise en réserve, imitant ainsi l’action de
l’insuline. L’apport de corps cétoniques, directement utilisables par l’organisme permet de
retarder et de limiter l’élévation du taux d’acide lactique corrélé ă l’utilisation des réserves de
glycogène. La présence de corps cétoniques dans l’organisme avant l’épuisement des ressources
de glucose aboutit ă une situation physiologique inédite pour les sportifs, celle d’un choix
métabolique possible pour l’organisme dans l’utilisation des ressources énergétiques disponibles,
ă la fois d’origine cétonique et glucidique. Dans les conditions produites par l’expérience de
Keiran Clarke, une nouvelle orientation métabolique montrant une préférence pour ce substrat
énergétique a été mise en évidence, malgré la disponibilité de substrats glucidiques alternatifs,
ce qui constitue une réelle découverte. Cette situation semble permettre un plus grand confort
dans l’exercice, et un prolongement de l’effort intense soutenu, aboutissant ă une amélioration
de la performance en endurance.

Les expériences de Kieran Clarke auprès des rameurs de l’équipe nationale de Grande Bretagne
puis d’équipes cyclistes professionnelles ont montré des résultats intéressants, avec une
amélioration de 0,5% à 2% environ des performances des rameurs de l’élite internationale, une
différence significative à ce niveau de performance où les podiums se disputent en centièmes de
seconde. La rameuse Brianna Stubbs, qui effectue son doctorat dans le laboratoire du Dr Clarke, a
testé le produit en tant qu’athlète de niveau international, et en fait aujourd’hui l’éloge.

Les corps cétoniques : de multiples applications médicales envisageables
Parallèlement, ce produit rencontre les attentes de neurologues en charge d’enfants épileptiques
réfractaires aux traitements pharmacologiques, soumis à un régime hyper lipidique, en vue de
favoriser la production de corps cétoniques, qui semblent diminuer l’excitabilité du cerveau et
réduire la fréquence des crises. La boisson pourrait utilement remplacer une diète inconfortable
et très déséquilibrée sur le plan nutritionnel, à haut risque athérogène, selon le Dr Helen Cross,
(30% des enfants épileptiques), avec succès, puisqu’elle obtient une réduction de 40% de la
fréquence des crises avec ce régime. Les maladies neurodégénératives pourraient elles aussi
bénéficier de ce produit.

Aujourd’hui, les militaires américains se déclarent très satisfaits, les sportifs d’endurance, les
cyclistes professionnels en particulier ont déjà adopté la boisson, selon le Dr David Holdsworth,
membre de l’équipe de recherche, qui revendique une amélioration de leur performance lors de
grandes compétitions. Les équipes concernées n’ont quant ă elles pas souhaité s’exprimer sur ce
sujet͙évidemment.

On se trouve donc face à un produit aux multiples applications possibles :

- Les pathologies liées à la résistance ă l’insuline : Equilibrer le diabète (expérience
conduite chez des personnes diabétiques de type 2 sur une semaine, avec perte de
2% de poids corporel, baisse des taux sanguins de glucose, cholestérol et
tryglicérides (non publiée)).
- Les pathologies liées aux dommages générés par les radicaux libres .
- Les pathologies résultant de l’hypoxie : Amélioration des performances cognitives des personnes atteintes du syndrome d’ Alzheimer, dont la consommation cérébrale de glucose est diminuée de 20 à 40%, mais qui métabolisent toujours les corps cétoniques, avec une amélioration observée de leur situation clinique sous diète cétogénique. La boisson remplacerait avantageusement une alimentation
hyperlipidique.
- Améliorer les fonctions cognitives en situation de jeûne (objectif n°1 financé par US
Army)
- Améliorer les performances sportives en endurance en apportant un substrat
complémentaire du glucose (testées et publiées par la chercheuse chez des 22
sportifs d’élite de l’aviron)
- Remplacer la diète hyperlipidique chez les enfants épileptiques réfractaires aux
traitements médicamenteux
- Favoriser l’amaigrissement en réduisant la sensation de faim : expérience conduite
sur des rats, avec comparaison de l’effet de l’apport calorique via le glucose versus via des corps cétoniques sur la perte de poids, qui a abouti à une perte de poids,une baisse des taux sanguins de glucose et triglycérides, une amélioration des performances cognitives, une augmentation de la contractilité cardiaque et une diminution de la consommation d’oxygène.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire